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« Miss Sugar !
Quel nom ! Il sonne comme une création de l'imagination, à mi chemin du Père Noël ou de la fée Clochette. »
Michel FABER, Contes
de la Rose Pourpre,
« Une
puissante cohorte de femmes, coiffées de grands chapeaux »
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L'intrigue :
La
Rose pourpre et le lys
n'a rien d'un conte de fée ou alors avec beaucoup d'ironie
puisqu'il raconte le parcours de son héroïne, Sugar, qui est au
début du livre prostituée dans le Londres des années 1870. L'ère
victorienne y est mise à nu et étrangement, le destin des
prostituées comme elle, une fois leur horizon élargi, se révélait à ses yeux pas plus reluisant que celui des générations
de femmes et de petites filles bourgeoises que Sugar rencontre une
fois presque sortie de sa condition. Sugar aspire à la liberté,
d'une fuite en avant et cette fuite, elle ne la fera pas seule... Ce
qui arrive ensuite n'est pas révélé et Les Contes
de la rose pourpre ne servent
pas à cet effet.
Ma critique :
Rester sur sa faim. C'est toujours
un peu le cas lorsqu'on finit un bon roman comme si les mille-cent
cinquante pages de La Rose pourpre et le lys
de Michel Faber n'étaient pas assez pour être rassasié ! On a
toujours envie d'en reprendre comme la « petite part » en
plus d'un gâteau, par pure gourmandise. Pourtant, le lecteur n'est
pas roi, ce n'est pas un sale gosse à qui on répondrait à
tous ses caprices, même les plus désintéressés comme l'est la
lecture.
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Michel Faber, La Rose pourpre et le Lys |
Certes, la fin de La
Rose pourpre et le lys est
abrupte mais elle est aussi ouverte et c'est souvent la marque des
romans les mieux construits. C'est paradoxal ? Pas du tout !
J'aime l'inachèvement quand j'écris ou quand je lis parce que,
d'une certaine manière, telle est aussi la vie et la littérature
n'est pas toujours là pour embellir ce qui est, pour l'achever comme
s'il y avait toujours un début et une fin. Le lecteur est laissé en
plan et les personnages auxquels il s'est tant attaché pendant tant
de pages s'en vont sans qu'il sache le fin mot de l'histoire mais
c'est beau comme ça. C'est une façon d'apprendre la liberté et de
l'offrir même à des « êtres de papier ».
Ainsi, Les Contes de la
Rose pourpre n'ont rien
d'une suite mais seulement plusieurs fenêtres ouvertes sur l'univers
qu'a construit ou reconstruit Michel Faber à partir de l'époque
victorienne. Si vous n'avez pas lu La Rose Pourpre et le
Lys mais que vous avez tout
de même envie d'entrer par la mauvaise porte, la porte de derrière,
dans cet univers néo-victorien où les bas-fonds et la bourgeoisie
de Londres se côtoient sans gène, je vous conseille de ne pas lire
l’avant-propos de l'auteur qui justement raconte la fin, dasn ses détails. Sauf si ça
ne vous dérange pas et que vous faites partie des lecteurs qu'il
cite au début, ceux qui « accordent si peu de prix
au suspense, ou craignent tant les mauvaises surprises, qu'ils vont
droit à la dernière page du livre voir comment cela se termine ».
Toutefois, ce n'est pas moi qui
vous raconterait la fin ! A vous de choisir par quel bout vous
voulez prendre cette histoire.
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Michel Faber, Les Contes de la Rose pourpre |
Ça peut paraître risqué de
présenter ce petit recueil de sept nouvelles pas forcément à des
personnes qui ont lu le roman qui lui est lié mais je me suis dit
que c'était une bonne manière, un peu originale, de l'aborder sans
forcément entrer dans les détails de l'intrigue. A vrai dire,
seules trois nouvelles se situent après l'action de La
Rose pourpre et le lys mais,
objectivement, quand il y a retour en arrière, c'est fait de façon
très vague. Aucun complexe donc à avoir si vous ne l'avez pas lu
mais que vous voulez un peu testé le style de l'auteur et ses
personnages avant d'attaquer les deux tomes de La Rose
pourpre et le lys, Aucun
dépaysement donc si ce n'est d'entrer la tête la première dans un
monde qui n'est plus le nôtre mais qui, étrangement, le rappelle.
Moi-même, qui ai lu l’œuvre il y a bien quatre ans, j'ai eu à
peine l'impression d'être perdue alors j'imagine que ma situation ne
sera pas si différente de celle des lecteurs qui n'ont pas lu
l’œuvre. On trouve ou retrouve certains personnages avant et après
l’intrigue principale et ce que j'ai aimé, c'est l'histoire de
chaque nouvelle vaut pour elle-même, indépendamment de l'intrigue
générale. Il ne s'agit ni de suites ou de révélations exclusives
et donc pas d'un post-scriptum à l’œuvre comme pour lui dire
adieu mais plutôt des histoires indépendantes qui parlent pour
elles-mêmes et qui sont en même temps représentatives moins de
l'intrigue particulière que de l'époque victorienne. D'une certaine
manière, les Contes ne développe pas la fin mais plutôt le cadre
général ce qui en fait forcément un livre à part, en marge de La
Rose Pourpre.
On y retrouve le monde de la
prostitution bien sûr, sans complexe et à la fois avec la dose de
cynisme et de distance déjà aperçues dans
La Rose
pourpre avec autant d'humour
noir. Les questions matrimoniales propres à cette époque ne sont
pas absentes où rester « vieille fille », situation
« perverse »
selon le modèle victorien (c'est du moins le mot qu'emprunte à
cette époque Faber avec beaucoup d'ironie) ne pose pas trop de
problèmes à certaines. Les traumatismes de guerre font l'objet
aussi de scènes et de situations plutôt étranges, voire
dérangeantes, mais paradoxalement comiques. Michel Faber a toujours
autant de talent pour nous plonger dans cet univers, ouvertement glauque et, pourtant, il arrive à rendre ça "attrayant". C'est toujours un
plaisir car il arrive à capter des situations qui font réfléchir
autant que rire; Un rire jaune ou franc.
« Fermez
les yeux. Perdez le sens du temps pendant un moment – juste assez
pour vous laisser rattraper par cent trente ans. »
« Il
est presque temps d'ouvrir les yeux : le vingt et unième siècle
vous attend et vous êtes resté trop longtemps parmi des prostituées
et d'étranges enfants. Retirez vous maintenant. Sugar est fatiguée
même si nous sommes en pleine journée. Ce soir son travail
reprendra (…). »
Voilà
le début et la presque toute fin de « Noël
dans Sliver Street », la
première nouvelle du recueil et souvent Faber place le lecteur dans cette position presque de voyeur, ce qui n'a rien d'anodin vu qu'on y
retrouve Sugar dans son lieu familier, quelques temps avant que
l'intrigue ne commence. C'est avec cynisme que le thème de Noël est
traité : après tout, comment fête t-on Noël dans un bordel ?
D’ailleurs, le fête t-on ? « C'est
quoi Noël ? (…) Y'en a qui se font des cadeaux à Noël...»,
voilà la réaction habituelle d'un jeune garçon, Christopher, qu'on
retrouve déjà dans La Rose pourpre
et qui fait office de domestique : il vient chercher et lave les
draps sales...
« Quel
âge a le petit Christopher ? Sugar ne sait pas. Bien trop jeune
pour être bonne à tout faire dans un bordel, mais c'est le travail
que lui a donné Amy [sa
mère, elle aussi prostituée] et il semble
reconnaissant de pouvoir se rendre utile. Peut-être que s'il lave et
sèche un million de draps, il rachètera enfin son péché
originel : la naissance. »
Sugar, qui a beaucoup de douceur et d'attention pour les enfants
(elle s'indigne dans « La Pomme » de voir
du haut de sa fenêtre une mère, venue évangéliser la rue en
chantant des cantiques, frapper sa petite fille pour avoir fait
tomber une pomme... Sugar prévoit même de la lui jeter sur la tête si
elle revient les jours suivants !), va essayer de rendre cette journée
« comme les autres » dans une maison close un peu
différente. En vain, peut-être, mais c'est à chaque lecteur de
juger par lui-même.
« Mon
père m'a fait à moitié. Exactement à moitié, disait ma mère.
(…) Chaque être humain était un mélange d’ingrédients, comme
une soupe, me dit-elle. La mère fournissait la moitié et le père
l'autre. Ils étaient tous mélangés et cuits et le résultat était
l'enfant, moi en l’occurrence. »
J'ai
commencé ce billet par une citation d'« Une
puissante cohorte de femmes, coiffées de grands chapeaux »,
la dernière nouvelle et la plus longue du recueil et de loin ma
préférée. Elle est un peu particulière par rapport aux autres car
il s'agit du récit d'un vieux homme, visiblement à l'article de la
mort, qui raconte son enfance et surtout son émigration à Londres
depuis son Australie natale. Il s'agit du fils de l'un des
personnages, vivant dans les années 1990, et évoquant l'époque
édouardienne, c'est-à-dire justement l'époque qui a fait ses
adieux à l'ère victorienne pour rentrer dans le monde « moderne ».
On y voit le regard d'un enfant qui a sept ans en 1908, né le même
jour de la mort de la reine Victoria :
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Le Roi Edward VII du Royaume-Uni |
« Je
pense toujours aux Edouardiens comme à des enfants. Des enfants qui
ont perdu leur mère, mais qui étaient trop jeunes pour comprendre
qu'elle avait disparu, et continuaient donc à jouer comme par le
passé, ne remarquant que peu à peu, du coin de l'oeil, les ombres
tremblotant à l'extérieur de leur nursery. »
Ces ombres, c'est le monde moderne, celui des suffragettes qui
commencent à se manifester er à manifester : l'épisode à la
fois central et qui clôt la nouvelle, c'est la manifestation à
Londres du 21 juin 1908 en faveur du droit de vote pour les femmes
avec 250.000 manifestant(e)s à Hyde Park. Ça m'a rappelé un
souvenir ému, ma lecture de
Nuit et Jour de Virginia Woolf. Henry, le narrateur, « y était » bien sûr ! Cependant, mais une envie
pressante l'empêche de vivre pleinement
l'évènement historique :
« Il
n'y a rien de tel qu'une vessie pleine pour ruiner le sens de
l'Histoire. Jésus-Christ pourrait descendre des cieux au bras
d'Hélène de Troie que vous continueriez à chercher des
toilettes. »
Ce que j'ai aimé dans ce personnage, c'est qu'il est aussi une
figure de l'auteur, comme dans une mise en abyme. En tant que
narrateur, il ballade complément le lecteur d'une digression à une
autre, ce qui était assez drôle en fait !
« Mais
vous ne voulez pas entendre parler de ma vie. Vous voulez que je vous
parle de la manifestation. J'y viens. Sans blague, je vous donne ma
parole d'honneur que je ne mourrai pas avant de terminer l'histoire.
Je comprends bien à quel point il est énervant d'arriver jusque là
et de ne pas savoir ce qui se passe ensuite. Je ne vous ferais jamais
ça ! »
La
phobie de l'histoire inachevée, son lecteur a pu l'avoir jusqu'à la
fin. Mais, le problème, avec cette nouvelle (comme avec la majorité
des autres du recueil), c'est qu'elles sont elles aussi ouvertes,
elles aussi inachevées.
« Revenez
demain et je vous raconterai la suite. Tout ce que vous voulez
savoir, je vous le promets. Demain. »
Sauf qu'heureusement, la fin, demain, n'arrive jamais.
J'espère vous
avoir donné envie de nous plonger ou de vous replonger dans La
Rose pourpre et le lys avant ou après Les Contes de la rose
pourpre. Bien sûr, vous resterez sur votre faim mais, si vous
voulez savoir ce qui arrive ensuite à tous ces personnages (comme
c'est souvent le cas pour n'importe quelle lecture, que le roman soit
achevé ou non), l'imagination est le meilleur des remèdes !
Où les trouver ?
La Rose pourpre et le lys est disponible en poche dans la
collection « Points » pour
EUR 7, 69 (Tome 1) et
EUR 8, 17 (Tome 2) ou
EUR 15, 87 (coffret Tome 1 & 2).
Les
Contes de la rose pourpre
sont disponibles en livre de poche dans la même collection pour
EUR 5, 80
Naaaaaaaaaaaaan, j'avais écris un super commentaire super long et ma connexion à buguer T_T monde cruel xD
Bon, recommençons ^^
Je disais donc que ton article était super comme d'habitude ;)
Tu nous donne toujours envie d'aller zieuter le roman chroniqué et d'ainsi sortir un peu de nos sentiers battus ! Puisque ce n'est pas une lecture que je serais allé choisir de moi même. Donc merci :)
Sinon pour répondre à ton commentaire, je te recommande vraiment Tess d'Uberville et je serai curieuse de connaitre ton avis ;) Merci beaucoup pour le lien d'ailleurs, je devrais écouter la radio plus souvent :D
C'est marrant que tu parles des "Forestiers" j'ai faillis l'acheter cette aprem, je le lirai de toute façon plus tard ^^
Enfin pour répondre à ta question, je n'ai pas vu l'adaptation BBC mais du coup je vais aller chercher ça :p
Bises !!