Songe d'une nuit d'été

Bouteille jetée par Alex , mardi 5 juillet 2011 23:34

Son fer blessait le temps à chaque aube plus grise,
Le vent heurtait la mort sur le toit de nos chambres,
Le froid ne cessait pas d'environner nos cœurs.

Ce fut un bel été, fade, brisant et sombre,
Tu aimas la douceur de la pluie en été
Et tu aimas la mort qui dominait l'été
Du pavillon tremblant de ses ailes de cendre.

Cette année-là, tu vins à presque distinguer
Un signe toujours noir devant tes yeux porté
Par les pierres, les vents, les eaux et les feuillages.

Ainsi le soc déjà mordait la terre meuble
Et ton orgueil aima cette lumière neuve,
L'ivresse d'avoir peur sur la terre d'été.

Souvent dans le silence d'un ravin
J'entends (ou je désire entendre, je ne sais)
Un corps tomber parmi des branches. Longue et lente
Est cette chute aveugle; que nul cri
Ne vient jamais interrompre ou finir.

Je pense alors aux processions de la lumière
Dans le pays sans naître ni mourir.

Yves BONNEFOY, Hier régnant désert, "Le bel été"

L'été, voilà une saison qui a toujours bonne presse. On y pense, on l'attend avec plus ou moins d'impatience au même titre que les vacances qui l'accompagne. "Les grandes vacances", toute une légende!

Sauf pour Yves Bonnefoy.

J'ai connu Yves Bonnefoy (pas personnellement, cela va sans dire, mais via ce qu'il écrit, ce qui est peut-être mieux) en terminale, en cours de philosophie. Depuis, quand je lis quelque chose de lui ou quand j'ai dû le commenter en khâgne, c'est toujours avec beaucoup d'admiration et peut-être avec beaucoup de parti pris.

Yves Bonnefoy doit faire partie de mes auteurs fétiches, "chouchous" et pourtant, je n'ai pas eu l'occasion de tant le lire. C'est un peu le mystère de la littérature, des mots de s'attacher quelques fois à certains textes, à certains vers, à une expression vraiment unique et à partir de cette lecture minimaliste, au détail, d'aimer l'oeuvre, l'auteur concernés dans son ensemble à l'occasion de cette seule rencontre, de ce "coup de coeur". Pour moi, cela a été à l'occasion de la lecture de L'Arrière-pays d'abord par extrait grâce à mon professeur d'alors et ensuite, "se jetant à l'eau", avec l'oeuvre vraiment en main.

Ce thème de l'arrière-pays, je pense qu'il se retrouve dans le poème que j'ai choisi pour lancer ma première bouteille à la mer. Ce poème hanté par la mort malgré l'été, c'est-à-dire par ce qu'il y a de plus réel, de plus concret à vivre se conclue par l'évocation d'un "pays sans naître ni mourir", c'est-à-dire non pas ce monde-ci mais un "arrière-pays", une sorte de pays de Cocagne où "personne n'y marcherait comme sur terre étrangère" (c'est la citation mise en exergue de son oeuvre, empruntée au philosophe Plotin). Ce rêve d'un ailleurs, de l'absolue plénitude est pourtant en tension dans la mesure où cet absolu reste inaccessible, toujours l'objet d'un rendez-vous manqué, d'une rencontre qui ne peut se réaliser dans la mesure même où il ne peut y avoir de coïncidence entre l'arrière-pays et le réel. C'est pourquoi Bonnefoy choisit l'image du carrefour:

"J'ai souvent éprouvé un sentiment d'inquiétude à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu'en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n'ai pas prise et dont déjà je m'éloigne, oui, c'est là que s'ouvrait un pays d'essence plus haute, où j'aurais pu aller vivre et que désormais j'ai perdu."

Mieux que ça, il est inaccessible et c'est peut-être tant mieux. Ce qui est fascinant, c'est cette tension entre le regard en arrière vers ce pays qui n'est plus ou qui n'a jamais été tout-à-fait, presque de l'ordre de la nostalgie et en même temps le désir qu'inspire la réalité, ce désir inattendu de la mort alors que l'on ne s'attend pas à ce que l'été soit "fade" comme une fleur sur le point de dépérir.


Heureusement pour nous, l'été ne fait que commencer et je l'espère sera un bel été en perspective.


                                                                      Claude MonetLes meules de foin (Musée d'Orsay)

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