"La Couleur des Sentiments" de Tate Taylor
Bouteille jetée par Alex , dimanche 19 août 2012 23:58
La Couleur des sentiments (2011) de Tate Taylor avec Emma Stone, Viola Davis, Octavia Spencer et Jessica Chastain. Bande annonce sur Allociné. |
Synopsis. Jackson, Mississippi, semble être la petite ville la plus représentative de l'Amérique des années soixante. Aibileen (Viola Davis) et Minny (Octavia Spenser), toutes deux noires, sont nourrice et domestique dans deux familles blanches et pourtant, aussi intimes soient-elles dans la vie de ces dernières, elles ne peuvent même pas partager les mêmes toilettes, question d'hygiène et de racisme obligent. Si elles paraissent invisibles aux yeux de beaucoup, leur sort intéresse l'écrivain en herbe, Skeeter (Emma Stone), et la jolie mais méprisée des femmes de la bonne société locale, Celia Foote (Jessica Chastain). Voilà leur projet secret : donner la parole à celles qui se taisent en écrivant en commun un livre qui ferait reconnaître leur histoire, leur statut et leur personne. Cependant, dans ce monde encore traditionnel, un tel renouveau les met en danger...
Ce film est adapté du roman de Kathryn Stockett, The Help. Je ne l'ai pas lu mais je n'ai eu que de bons échos ! |
Qui ne s'est pas attaché à la nourrice noire de Scarlett O'Hara et à son franc-parler ? Si « Mamma » demeure, en sa qualité de simple domestique, un éternel personnage secondaire dans l'Histoire du cinéma, La Couleur des sentiments opère une véritable révolution en mettant au premier plan les subalternes de la société américaine des Sixties, sur fond de ségrégation noire. Vous me direz, n'avons-nous pas déjà assez vu et revu de films et même de téléfilms sur le sujet ? En quoi La Couleur des sentiments apporte t-il une teinte nouvelle à ce tableau, presque stéréotypé ou en tout cas mille fois revisité du statut des Afro-Américains de cette époque ?
Alors oui, à première vue, nous assistons à l'un de ces films manichéens où les personnages sont partagés entre « gentils » et « méchants », « blancs » et « noirs », « riches » et « pauvres ». Typique des Américains, voyons ! En vérité, c'est méconnaître l'essence même du film qui – justement – dénonce l'injustice qu'il y a à distinguer les personnes, sous prétexte de leur couleur de peau ou de leur situation sociale. Il faut bien un peu de manichéisme pour dépeindre avec justesse une monde qui établie ce même manichéisme comme ordre social.
La sublime et très touchante Jessica Chastain. Le pur look Sixties ! |
Pourtant, tout bon spectateur, celui qui recherche le divertissement avant tout, serait peut-être d'emblée rebuté par l'apparent sérieux du film. Or, la critique est joliment menée notamment grâce à la profondeur des femmes dépeintes et à l'humour que ce casting essentiellement féminin dégage. Les personnages ne sont pas seulement attachantes ni émouvantes ou plutôt elles le sont d'autant plus que leur histoire est réaliste. Certes, La Couleur des sentiments a tout du film « rétro » mais, à l'image des Noces rebelles de Sam Mendes (si je tenais un top 10 des films qui m'ont le plus marqués, celui-ci aurait une place à part !), ce n'est pas parce que ces femmes ont des permanentes et des brushings à couper le souffle qu'elles rendent le sujet de leur film dépassé. En plus de parler de discrimination sociale, c'est aussi de la condition de la femme dont il est question, du dépassement de « l'image » pour plus de « sentiments » et de réalisme. Leur histoire fait vrai parce, même si, encore heureux, nous avons dépassé le temps où même les toilettes étaient réservées aux Blancs et d'autres aux Noirs, cette histoire parle à un public actuel parce qu'il est encore difficile d'assumer et de faire respecter sa différence, surtout quand on est une femme, même après les victoires du féminisme.
Emma Stone (Skeeter) |
C'est à mon sens le brio du film de Tate Taylor d'avoir mis l'humour au service du drame pour dépeindre une période aussi charnière, riche en revendications autant contre le racisme qu'en faveur de l'émancipation des femmes. Le personnage que joue Emma Stone désire devenir journaliste mais surtout écrivain dans une société locale où les femmes ont le bon ton d'organiser des ventes de charité et des fêtes d'anniversaire. Quant à la révélation de ce film, Octavia Spencer, qui a reçu cette année l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, elle campe le rôle de l'une de ses nombreuses femmes battues et qui aspirent à autant de liberté civique que personnelle.
Coté technique, la photographie de ce film est magnifique, capable de nous plonger de manière réaliste dans les années soixante à l'aide de la bande originale que les éternels fans de Bob Dylan et de Johnny Cash apprécieront. Don't think twice, It's alright & Jackson (of course !), ça doit bien dire quelque chose à certains !
On ne peut que recommander un film à la fois riche de son passé mais aussi très actuel !
Je n'ai toujours pas vu le film, mais j'ai beaucoup aimé le livre !